L'égalité des sexes : Du berceau à la vie d'entreprise
Il n’est pas rare d’en rire au détour d’une conversation, mais avons-nous bien conscience que les stéréotypes des genres divisent ? « Planète 50-50 d’ici 2030 : franchissons le pas pour l’égalité des sexes ». Le thème retenu par l’Unesco pour la Journée internationale de la femme en ce mardi 8 mars met en lumière un chantier inachevé de la République : l’égalité des chances. Inscrite au cœur du projet éducatif de la Nouvelle-Calédonie, la lutte contre les inégalités commence désormais à l’école. Désignée « académie pilote » par le ministère de l’Education nationale, la Nouvelle-Calédonie s’est engagée depuis déjà près d’un an sur cette voie. Blogs, expositions, pièces de théâtre, conférences-débats : dans les écoles, la mission « Prévention des discriminations et égalité filles-garçons » s’est traduit par une kyrielle d’actions artistiques et culturelles.
Le but : pousser les élèves à engager eux-mêmes la réflexion sur une problématique, en devenant acteurs.
Évolution des mentalités
Le dispositif prend de l’ampleur au fur et à mesure que les établissements se l’approprient. Quatre d’entre eux ayant déjà reçu du vice-rectorat le label des 3E (éducation à l’égalité à l’école), tandis que huit autres s’apprêtent à recevoir l’écusson. « Le rôle de la femme se résume souvent à faire des enfants, le ménage et la cuisine tandis que celui de l’homme est de ramener de l’argent » déplore Elianne, jeune Océanienne en deuxième année de BTS. Particulièrement impliquée dans le comité des 3E, elle se rend aujourd’hui à Ouvéa (lire encadré) pour partager son histoire. « Mon compagnon est issu d’une tribu et m’aide à 100 % à la maison. » Une « fierté » pour cette jeune maman de 25 ans, persuadée que les mentalités peuvent évoluer.
Si le progrès est en marche, la route est encore longue. « Il serait temps qu’on puisse évoquer la femme kanak sous un autre statut que celui de maman, note Jean-Luc Faure, proviseur du lycée du Grand Nouméa labellisé des 3E en octobre. Un constat qui se décline logiquement chez les jeunes filles. « Nos étudiantes ont beaucoup de mal à concilier leur héritage culturel avec leur statut de lycéenne et dans une projection professionnelle, » poursuit le proviseur. Et les garçons dans tout ça ? « Dans ce projet de société, aucun acteur ne peut être écarté. On réfléchit ensemble, pas côte à côte, martèle Véronique Mollot-Lehouillier. Référente de la mission au vice-rectorat, elle souligne que la question des filles est aussi importante en termes de mixité et d’égalité que celle des garçons. C’est ensemble qu’on va trouver des solutions pour un meilleur épanouissement de chacun. »
Questions à… Blandine Mollard, spécialiste de l’égalité des sexes à la CPS
« L'INÉGALITÉ COMMENCE À LA NAISSANCE »
- Les Nouvelles calédoniennes : En quoi les inégalités affectent-elles le développement économique et social ?
25 % des ménages sont des familles monoparentales dans lesquelles la femme est la seule pourvoyeuse du foyer, avec des perspectives d’emploi médiocres qui peuvent avoir des conséquences sur la vie des enfants. De même, on sait que les filières techniques et industrielles restent dominées par les hommes, alors qu’elles sont souvent les plus dynamiques. Dans la région, les femmes demeurent sous-représentées dans le secteur de l’emploi formel, avec de lourdes conséquences sur leur capacité à gagner un revenu décent, et leur accès à une couverture santé. Tout au long de leur vie, les hommes et les femmes sont exposés à des risques distincts, bien souvent associés aux rôles « genrés ». Dans de nombreuses sociétés, on considère que les comportements à risque et la consommation de substances psychoactives sont des attitudes viriles. Quant aux femmes, elles sont très exposées aux risques de violence conjugale, avec des taux de prévalence dans la région parmi les plus hauts du monde. Les impacts en termes de coûts de santé publique et de frais de justice sont considérables.
- Où commencent les inégalités de genre ?
Elles commencent dès la naissance. De nombreuses études ont mis en évidence qu’on avait tendance à s’occuper des bébés différemment selon leur sexe : plus de communication et de parole avec les filles, plus de motricité avec les garçons. Ces comportements, bien qu’inconscients, ont des effets sur les apprentissages. Puis, ils sont renforcés par les jouets, les vêtements, les produits culturels, l’école et les interactions avec les autres : ce qu’on appelle le processus de socialisation. Plus tard, la socialisation par le sport et les jeux leur inculquera la place qu’ils doivent occuper.
- C’est-à-dire ?
Les jeux destinés aux filles valorisent les rôles d’imitation, impliquant des capacités à interagir avec les autres, des compétences verbales ou sociales, tandis que les jouets des garçons impliquent des scénarios plus définis dans le temps et plus axés sur un but clair à atteindre (construction, résolution, exploration). Cette socialisation différenciée, très précoce, est maintenue tout au long de l’enfance et de l’adolescence. La surreprésentation des filles dans les filières du domaine sanitaire et social et de l’éducation, montre qu’elles sont encouragées à s’orienter vers des tâches emblématiques des représentations du féminin (soin, altruisme, empathie).
Repères
Premières réflexions coutumières
Quelle place pour la femme dans la coutume ? Si la question n’a jamais été un thème prioritaire de débat, des réflexions commencent à naître, notamment du fait de l’implication des autorités coutumières dans la journée internationale de la femme. Ainsi, en 2015, dans l’aire Xârâcùù, l’organisation de l’événement a permis de réactiver beaucoup d’associations de femmes, à vocation artisanale, mais qui ont su prendre leur place dans les ateliers de réflexion.
Et le travail n’a pas été abandonné : 18 représentantes de la région ont été envoyées à Ouvéa cette année. Une des pistes de réflexion : créer un « conseil des femmes » au niveau de l’aire, qui permettrait de faire remonter certaines problématiques, et d’entretenir un débat sur des réformes de fond.
Quel écart dans la région ?
Sur 16 dirigeants océaniens, on ne compte qu’une seule femme chef d’Etat. Hilda Heine est la première femme à avoir décroché la présidence des îles Marshall.
Sur le plan de la représentation parlementaire, c’est la Polynésie qui arrive en tête (56 %), suivie de la Calédonie (43 %) puis de Wallis-et-Futuna, grâce à la loi sur la parité adoptée en France en 2000 et rendue applicable dans ces trois collectivités.
« Dans le reste de la région, le nombre restreint de sièges parlementaires à pourvoir, de portefeuilles ministériels et de postes dans la haute fonction publique, couplé aux coûts des campagnes électorales, constitue un frein à l’ascension des femmes, note la CPS. Le mode de scrutin majoritaire à un tour, hérité du modèle électoral britannique et très répandu dans le Pacifique insulaire n’est pas favorable aux femmes et profite aux candidats ayant déjà une longue carrière derrière eux. » La proportion de femmes occupant des fonctions dirigeantes dans le public ou dans le privé atteint son niveau le plus bas aux îles Salomon (19 %)